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Vers une logistiqueplus verte

À l’échelle européenne, les entreprises s’engagent de plus en plus pour réduire leur impact environnemental grâce à différentes stratégies :

Réduction de l’empreinte carbone, mise en place de pratiques régénératrices, sobriété numérique… Aujourd’hui, elles font face à un nouveau défi lié à leurs expéditions et doivent réinventer la manière dont elles acheminent, livrent et recyclent leurs produits. Une stratégie logistique durable devient ainsi indispensable à la cohérence globale des stratégies d’écoresponsabilité des entreprises, depuis la production jusqu’au moment où le client final reçoit son produit. Nous avons échangé avec Anicia Jaegler, Professeure senior en supply chain management et doyenne associée à la durabilité et inclusivité à la KEDGE Business School, pour qu’elle nous en dise plus sur la manière dont la logistique durable peut transformer les stratégies d’entreprises.

Logistique durable et législation

Le 23 février 2022, la Commission européenne a présenté sa proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (ou CSDD, Corporate Sustainability Due Diligence). Son but est d’encadrer la manière dont les entreprises gèrent leur logistique, en les rendant responsables des impacts environnementaux et sociaux qu’elles génèrent tout au long de leur chaîne de production. Le devoir de vigilance des entreprises s’applique sur son activité commerciale comme celle de ses filiales, mais également à ses fournisseurs directs ou indirects ou à l’utilisation et l’élimination des biens et services produits.

Si la logistique durable est importante pour la cohérence de la stratégie d’écoresponsabilité des entreprises, ce projet de directive est indispensable à la cohérence de la stratégie européenne, puisqu’aujourd’hui, les législations sont spécifiques à chaque pays. L’Allemagne a ainsi d’ores et déjà adopté sa loi sur le devoir de vigilance (ou « Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz ») le 11 juin 2021. De son côté, la France a mis en place dès 2017 une Charte d’engagement pour la réduction de l’impact environnemental du commerce en ligne, à la suite de l’introduction de la notion de devoir de vigilance dans le droit français la même année.

Cette charte est née d’échanges entre la Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à distance) et d’une alliance de 14 commerçants afin de normaliser les pratiques durables en logistique. L’objectif est notamment de sensibiliser les consommateurs en les transformant en “consomm’acteurs”, et créer des lignes directrices en matière d’emballages, de livraisons vertes et de certifications des entrepôts.

Notre experte nous rappelle l’importance d’une communication inter-européenne sur ces questions : « Si on prend la logistique urbaine, chacun va avoir des solutions et des contraintes différentes. De ces différences peuvent émerger des échanges et des bonnes pratiques, pour s’adapter aux forces et faiblesses de villes ou pays, comme la présence de fleuves ou d’un bon réseau de transport urbain par exemple. »

Les défis de la logistique durable

Dans un contexte où l’industrie du transport et de la logistique est responsable de près d’un quart des émissions de gaz à effet de serre en Europe[1] les entreprises doivent transformer leurs stratégies logistiques pour réduire leur empreinte carbone. Mais trouver le bon équilibre entre facteurs économiques et environnementaux n’est pas sans difficultés. Les acteurs du secteur doivent composer avec des alternatives aux énergies fossiles limitées, la gestion des retours et des déchets, les réglementations relatives aux infrastructures logistiques (par exemple au niveau énergétique) – ou encore des problématiques directement liées à leur activité comme celle du « dernier kilomètre ».

L’augmentation du nombre de colis densifie le trafic urbain, alors que la présence des véhicules à moteur en centre-ville est parfois remise en question (comme avec les vignettes Crit’air et les ZFE-m, ou Zones à faibles émissions mobilité). Par ailleurs, la livraison du dernier kilomètre représente 25 à 30 % des émissions en milieu urbain[2], soulignant la nécessité de la transformation des flottes de véhicules ou du choix d’autres modes de transports (par exemple comme collectifs, par voies maritimes ou sur rail). Comme notre experte le souligne, « de nombreuses études se développent sur l’utilisation de transports en commun dans le cadre de la logistique, hors des heures de pointe. »

Les acteurs de la logistique doivent ainsi innover tout au long de la chaîne d’approvisionnement afin de répondre à ces défis, et satisfaire des consommateurs qui sont demandeurs de solutions de livraisons à la fois rapides, responsables et flexibles. En effet, ces derniers sont de plus en plus sensibles aux initiatives durables, depuis le choix de leurs produits jusqu’à leur expédition et livraison. Selon une enquête de la FEVAD, 70 % des consommateurs sont prêts à attendre jusqu’à cinq jours supplémentaires si cela veut dire que leur livraison aura un impact moins important sur l’environnement[3].

C’est ce qu’on appelle la « slow logistics ». Notre experte nous explique : « Aujourd’hui, en tant que consommateur, je peux choisir la livraison express. C’est une livraison qui a un coût financier comme environnemental. En choisissant une livraison « lente », cela ne me coûte pas plus cher en tant qu’acheteur, car ce sont les entreprises qui assument le coût de la logistique durable. Et en tant qu’entreprise, cela me permet d’optimiser mon transport, et donc de verdir ma logistique. »

[1] https://www.headmind.com/fr/rse-enjeu-logistique/

[2] https://octopia.com/blog/logistique-verte-et-durabilite-du-e-commerce/

[3] https://www.ecommerce-nation.fr/enjeux-rse-secteur-livraison/

Quelles solutions pour une logistique plus durable ?

Pour améliorer leurs processus, les acteurs du secteur peuvent agir à plusieurs niveaux. D’une part, les entreprises peuvent optimiser leurs processus grâce à des outils mesurant leur empreinte carbone. Comme nous l’indique notre experte, c’est en identifiant la source des émissions de gaz à effet de serre à travers toute la supply chain qu’il est ensuite possible de les réduire : « La première étape est de mesurer les émissions de gaz à effet de serre pour cibler les sources d’émissions et ainsi déterminer les leviers d’action.

On peut déjà réfléchir à l’optimisation des tournées, et donc du kilométrage. On peut également penser à l’optimisation du taux de remplissage, ou encore au multimodal. En utilisant plusieurs modes de transport, on peut bénéficier des avantages de chacun par rapport à la décarbonisation. »

Par exemple, il est possible de réduire son empreinte carbone en groupant les expéditions et en optimisant les itinéraires de livraison. De telles stratégies contribuent à réduire la distance parcourue et donc la consommation de carburant, tout en limitant les émissions de gaz à effet de serre. Les expéditions ne sont d’ailleurs pas les seules à pouvoir être groupées (et ainsi répondre aux principes de l’économie circulaire) : pour rendre les entrepôts plus durables, il est possible de les diviser entre plusieurs entreprises et ainsi optimiser les dépenses énergétiques et l’espace utilisé.

Au niveau des déchets, les entreprises peuvent opter pour des emballages recyclables, adaptés à la taille de la commande. Cela revient à mettre en place les principes de l’internet physique, c’est-à-dire d’avoir des emballages uniformes, répondant aux nouvelles réglementations, et les rendant ainsi utilisables par tous pour optimiser les chargements. En effet, si aujourd’hui les consommateurs font de plus en plus le choix de produits éco-conçus, il est important que cette démarche se reflète dans l’emballage du produit : la durabilité est une affaire de cohérence.

Le choix de l’emballage est d’autant plus important que selon une étude du MIT[4], les emballages représenteraient jusqu’à 2/3 des émissions générées par l’industrie du e-commerce, en comptant leur production, approvisionnement, utilisation et fin de vie.

Cette cohérence doit aussi se ressentir dans la sélection des fournisseurs. En faisant le choix de fournisseurs se situant plus près de leurs entrepôts et qui proposent des produits plus responsables, les entreprises s’assurent de collaborer avec des partenaires partageant leur engagement en matière de durabilité. Enfin, il est également possible de compenser les émissions carbone qu’il est impossible de supprimer en finançant des projets à impacts positifs, conformes aux objectifs de développement durable de l’ONU.

[4] https://ctl.mit.edu/sites/default/files/library/public/Dimitri-Weideli-Environmental-Analysis-of-US-Online-Shopping_0.pdf

Quels sont les leviers de la logistique durable ?

En transformant leurs processus logistiques pour qu’ils soient plus durables, les entreprises réduisent leur empreinte carbone, mais également leurs coûts à long terme. Par exemple, rationaliser la consommation d’énergie dans les entrepôts permet aux entreprises de réduire leur facture énergétique.

En Europe, certains transporteurs mettent en place des initiatives pour limiter leur empreinte carbone. Par exemple, GLS Allemagne livre ses colis de manière 100 % neutre sur le plan climatique dans le cadre de son programme KlimaProtect, renvoient une meilleure image de la marque aux consommateurs sensibles aux démarches vertes. Les salariés sont également concernés par ces stratégies, car elles leur permettent de bénéficier de meilleures conditions de travail ou de les aider à faire leur choix entre différents employeurs, en fonction de leur intérêt pour ces questions environnementales.

Travailler pour un acteur de la logistique verte, c’est aussi évoluer dans un environnement où l’on favorise l’économie circulaire et ses principes, notamment celui du bien-être de ses salariés. « Je suis intimement persuadée que les acteurs du secteur peuvent convaincre en expliquant qu’outre la dimension environnementale, il y a une dimension sociale importante. Et les consommateurs suivront si ces acteurs s’alignent avec leurs valeurs. »