Dès 2019, un Pacte vert pour l’Europe a été présenté afin d’accompagner la volonté de transition écologique européenne. L’objectif : faire de l’Europe le premier continent climatiquement neutre d’ici 2050. Pour aller plus loin que la législation seule, un nouveau modèle d’entreprise émerge, construit autour du principe de la régénération. Plus que de freiner les dommages subis par l’environnement, la régénération souhaite les inverser en renouvelant les ressources naturelles de la planète. Dans le cadre de cet article, nous avons échangé avec Thomas Busuttil, fondateur d’Imagin/able (qui fait aujourd’hui partie du R3 Group), dont la mission est d’accompagner les entreprises dans la définition et la mise en œuvre de stratégies d’innovation durables et ré/génératrices.
Entrepriserégénératrice : allerau-delà del’entreprise durable
Entreprise régénératrice ou entreprise durable : quelle différence ?
L’entreprise régénératrice (ou régénérative) et l’entreprise durable partagent un objectif commun, la réduction de leur empreinte carbone. Mais l’entreprise régénératrice va plus loin dans sa démarche : cette dernière s’engage de manière volontaire et consciente afin d’agir pour l’environnement comme pour le bien-être de ses habitants – tout en restant performante au niveau de ses résultats. Thomas Busuttil nous explique que « l’objectif, c’est d’arriver à faire comprendre en quoi le prisme de la durabilité nourrit et enrichit les stratégies business.
Aujourd’hui, on voit bien qu’il y a encore une vision très silotée de cette dimension de durabilité. Souvent, elle reste à la marge sur le business model. C’est pour cela que selon moi, le modèle des 3P, “people, planet, profit”, proposé à la fin des années 90 n’est pas le bon, car il ne reflète pas la vraie vie d’une entreprise où les défis sont par nature transversaux et globaux. Il faut essayer d’aller au centre de ces trois piliers. »
Selon une étude réalisée par la plateforme ReGenFriends, 80 % des consommateurs américains préfèrent les marques régénératrices aux marques « simplement » durables. Mettre en place des pratiques régénératrices permet ainsi de se distinguer de la concurrence, d’améliorer son image de marque et d’attirer une clientèle soucieuse de l’environnement.
Ainsi, si l’entreprise durable applique le principe du less is more pour tenter de limiter l’impact de l’activité humaine sur l’environnement, l’entreprise régénératrice entend aller au-delà pour renouveler les ressources et agir de manière active pour la planète, mais également plus largement pour la société.
Pour notre expert, « la dimension principale de la vision régénératrice, c’est son aspect holistique, systémique, d’écosystème – et quand je parle d’écosystème, ce n’est pas qu’environnemental, c’est aussi sociétal, économique. C’est cette vision écosystémique qu’il faut appliquer ». Ces pratiques régénératrices s’appuient ensuite sur plusieurs leviers qui permettent aux entreprises de s’approprier des enjeux mondiaux.
Par exemple, celui de l’agriculture repose sur des pratiques respectueuses de l’environnement comme le compost, l’association de cultures ou le couvert végétal. Le pilier de la finance, grâce aux investissements à impact, permet de créer une économie plus durable en soutenant les entreprises qui innovent pour protéger et régénérer l’environnement. Un autre pilier est celui de l’autonomisation et l’inclusion des communautés. Les entreprises peuvent ainsi favoriser la mise en place d’initiatives qui répondent aux besoins locaux et partager la création de valeur. Enfin, le levier du less is more permet de limiter l’utilisation des ressources, de réinvestir temps et argent dans d’autres projets respectueux de l’environnement.
Thomas Busuttil identifie trois niveaux pour les entreprises : « Si je schématise, l’entreprise possède trois niveaux. On a d’abord l’entreprise responsable, qui respecte les réglementations sociales et environnementales, mais ni plus ni moins. On passe ensuite à l’entreprise contributive, on pense à générer du positif, au-delà de la valeur financière.
Dans les faits, les entreprises appliquent cette vision tant que cela ne nuit pas à leur rentabilité, mais il n’y a pas forcément de remise en question du modèle. Pour appliquer une vision régénératrice, le troisième niveau, il faut forcément remettre en question ce modèle et comprendre que toute action que je fais en tant qu’entreprise va forcément avoir un impact sur la dimension sociale, sociétale et environnementale, dans toute la chaine de valeur. »
L’Europe, pionnière de la mutation des entreprises
Au niveau européen, de nombreuses entreprises s’engagent pour l’environnement, à travers des pratiques régénératrices, soulignant l’importance de l’innovation dans le domaine. Thomas Busuttil explique qu’Imagin/able « essaie de lier ces approches régénératrices avec une démarche d’innovation durable. La régénération peut être une source d’innovation qui crée du business. Nous avons un sustainable design thinking, qui est nativement durable et qui n’est pas amené par la technologie ou poussé par le client, mais qui rentre par les défis sociétaux et environnementaux. Il faut ensuite comprendre les défis qui sont liés à mon activité, ceux qui sont les plus impactants, pour supprimer les impacts négatifs. »
Par exemple, CircularInnoBooster Fashion and Textile est un projet COSME lancé par l’Union Européenne afin de faciliter la transformation vers l’économie circulaire et régénérative des entreprises du secteur de la mode et du textile. Cofinancé à 75% par la Commission Européenne, le projet est composé d’un consortium international dirigé par l’Institut européen de design (IED), mais également par The Circular Project. Ce projet fait écho à l’intérêt d’Imagin/able pour la mode régénératrice : « Nous sommes en train de réaliser une deuxième étude sur la mode régénératrice – après les cosmétiques – et l’on découvre de réelles innovations. Par exemple, la laine 100 % recyclée, qui est 100 % bio-assimilable et qui n’a donc pas d’impact négatif. Cet indicateur de régénération devrait devenir un véritable indicateur pour les entreprises, et prouve que la régénération s’adapte à tous les secteurs. »
Des entreprises pionnières, de toutes nationalités et tous secteurs comme Danone, Marks & Spencer et Patagonia appliquent les principes de la régénération en Europe, en Afrique – et plus largement à travers le monde. Cet engagement de la part d’entreprises est d’autant plus important que d’après l’étude « Regeneration Rising » menée par Wunderman Thompson Intelligence en 2021, 81 % des sondés pensent que les entreprises doivent s’établir comme le moteur de cette régénération, sans quoi celle-ci n’aura pas lieu.
En 2018, Danone a lancé son Danone ACT, un engagement en faveur d’une agriculture française responsable. L’entreprise a fait le choix de pratiques régénératrices, qui respectent les sols et la biodiversité, le bien-être animal et la société, pour ainsi montrer qu’il existe une autre manière de pratiquer l’agriculture. Pour continuer dans sa lancée, Danone s’est engagé à ce que d’ici 2025, 100 % de ses produits en France soient issus de l’agriculture régénératrice[1].
De son côté, l’entreprise britannique Marks & Spencer a déterminé trois objectifs à atteindre d’ici 2025 pour mener à bien leur stratégie régénérative : améliorer le bien-être de 10 millions de personnes, revitaliser 10 000 communautés et soutenir l’agriculture régénératrice en devenant une entreprise zéro déchet[2].
La marque Patagonia a quant à elle contribué en 2017 à l’établissement d’une certification en agriculture holistique : la certification Regenerative Organic. Cette dernière couvre le bien-être des animaux de pâturage, s’engage pour une rémunération équitable des exploitants et travailleurs agricoles et encadre la santé des sols et l’aménagement des terres[3].
Pour notre expert, « la régénération part souvent des convictions du dirigeant. Je pense qu’il y a quand même un certain nombre de dirigeants qui prennent conscience qu’on atteint le fameux tipping point, ce point de bascule, et qu’il faut agir. Est-ce qu’on essaie vraiment de changer fondamentalement notre système en profondeur ? Ou est-ce qu’on continue à faire des petites choses à la marge, sans fondamentalement changer de direction ? Dans les visions régénératrices, on parle ainsi de redirection du business model. »
Pour aller plus loin dans leurs pratiques responsables, les entreprises sont ainsi à même de mettre en place des stratégies bénéfiques pour l’environnement et la société, mais aussi pour le business. « Régénérer possède plusieurs sens : réparer, restaurer, rétablir, réimplanter. La régénération permet de générer de nouvelles richesses économiques, mais aussi des nouvelles richesses environnementales, sociales et sociétales. L’idée, c’est de montrer ce que tout cela apporte d’un point de vue positif à l’entreprise, en identifiant ce qu’elle fait déjà, quels sont les produits ou services qui ont le plus de potentiel régénérateur. Pour réussir cela, il faut penser autrement, il faut changer le mindset avec lequel on pense le business », conclut notre expert.
[1] https://www.agro-media.fr/actualite/danone-sengage-dans-lagriculture-regeneratrice-37891.html
[2] https://fr.linkedin.com/pulse/entreprise-r%C3%A9g%C3%A9n%C3%A9ratrice-virginie-pezet
[3] https://eu.patagonia.com/fr/fr/regenerative-organic/